17/09/2009

Les mots du Doc'


Il est vrai que Philippe Bouillard cumule les « avantages » pour tous les skippers. Il est le médecin de la course et « ministe » lui-même. Qui plus est, il a couru et terminé la Transat en 2005. Moralité, les angoisses, les bobos petits et grands, les moments d’euphorie suivis de blues, les hallucinations, il a connu. Il a vécu. Il peut plus facilement prévenir, expliquer, rassurer.« La première étape, il ne se passe pas grand-chose, dit-il. C’est un long sprint, on n’a guère le temps de s’abimer. Même pour l’alimentation, il n’y a pas trop de soucis. » Arrive, la seconde. Les 3100 milles de Madère à Bahia. L’Equateur. Le soleil. La chaleur. Le Pot au Noir. « Et surtout l’aspect psychologique. On se retrouve seul face à l’Océan. Certes, avec les 1000 milles de qualification, les marins connaissent la solitude. Mais là, il faut y rester trois semaines.»

Sur cette très longue étape, il convient de rythmer ses journées : dormir, boire, manger, régler la marche du bateau : « Un être humain n’est pas fait pour ne pas dormir durant 20 jours, explique Philippe Bouillard. Chaque homme à son cycle. Ca va de 45’ à 1h30. Parfois un repos de 20 mn permet de recharger la batterie. »

Foutu soleil
Personne n’est à l’abri, non plus, de brûlures d’estomac, de diarrhée, d’infections, de contractures, de douleurs articulaires quand on reste ainsi des semaines à « baigner dans son jus » sans pouvoir se mettre debout. Mais il y a surtout ce foutu soleil qui tape sans faiblir durant la journée : « Les skippers doivent veiller à ne pas se déshydrater. Ils convient aussi de se couvrir de la tête au pied pour éviter les brûlures. Les insolations. Et se mettre de la crème à en veux-tu en voilà. On ne se protège jamais trop sous certaines latitudes. Il est aussi indispensable de se masser les muscles avec de la crème.»
Le cocktail « manque de sommeil – fatigue – soleil de plomb » débouche très souvent sur des hallucinations. Philippe Bouillard se souvient : « Un jour j’ai vu ma femme allongée à la prou du bateau. Une autre fois, en entrant dans le cockpit, je me suis retrouvé nez à nez avec mes enfants. J’ai aussi aperçu mon frère qui tenait la barre. Mais ces phénomènes n’arrivent comme cela. Par hasard. C’est un signal d’alarme qu’il faut prendre au sérieux. »

Que faire dans ces moments là, pour éviter le drame ? Là, pour le toubib, pas de secret : « Il faut manger, boire et dormir. » Comme on peut, pas comme on veut. Car si comme le dit Philippe Bouillard et ses 189 cm : « Sur un mini on vit à quatre pattes mais tout est à portée de mains » encore faut-il vivre (survivre ?) dans une ambiance humide, salée qui attaque la couenne. Qui peut provoquer des escarres, des plaies, des infections.

« Il faut se laver même si ce n’est pas très facile. On se savonne après s’être mouillé avec de l’eau de mer et on se rince avec une demie bouteille d’eau minérale. » Le pied arrive quand le skipper traverse un orage : « On peut récupérer de l’eau douce. » Sous ces latitudes le solitaire doit aussi essayer de faire sécher ses vêtements : « Car vivre trois semaines dans l’humidité, ça devient insupportable et dangereux pour la peau. »

« On rembobine sa vie »
Le toubib ne cache pas qu’il a traversé des périodes de stress profond. Qu’il s’est demandé ce qu’il faisait là. « Quand mes pilotes ont rendu l’âme à 1000 milles de Bahia, se rappelle-t-il. J’ai failli lâcher. J’avais amené un pot de Nutella pour un ami au Brésil. Je le gardais précieusement. Mais, à ce moment là, je n’ai pas résisté. Et, je me suis repris. »
Certains craquent. Pleurent. Insultent la terre entière : « Ils sont seuls. Personne ne les voient, ne les entends. » Philippe Bouillard a perdu 10 kilos dans l’aventure et avoue : « Psychologiquement j’ai changé. Ma femme me l’a dit. Quand vous êtes seul avec vous-même, vous rembobinez votre vie. » Il lui a fallu deux à trois mois pour atterrir : « J’ai repris mon travail à l’Hôpital de La Rochelle, quelques jours après mon arrivée. Mais les copains ont été sympas. Ils m’ont dit « revient tranquillement. Tu es encore sur ton petit bateau. »

Quatre ans ont passé. Le temps n’a pas effacé les souffrances, mais il a mis en exergue les bons moments. Les levers et les couchers de soleil. Les sarabandes des dauphins. L’arrivée à Bahia. Philippe ne cache pas qu’il aimerait repartir. Retraverser l’Océan dont il dit : « L’élément liquide est à la fois inquiétant et rassurant. » Et hypnotisant …

NB: Philippe a couru la Mini 2005 sur le Pogo 1 "Mondial Assistance", en série donc, la même année que Seb Mesure, Eric Bourrié, Fred Roux, etc etc, grosse année pour Voiles Solitaires 17, avec en prime la victoire pour Corention Douguet, membre de l'asso.

Source GPO

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