10/11/2009

La deuxième étape d'Henry


Le samedi 3 octobre, nous quittons Funchal pour la seconde étape de la Transat 6.50. La situation générale est plus que surprenante car, en lieu et place de l’habituel Anticyclone des Acores se situe une dépression quasi-stationnaire. Les Alizés et le ciel bleu laissent donc place à la pluie et au vent de Sud-Ouest. Nous partirons donc au près jusqu’aux Canaries après lesquelles nous devrons traverser une dorsale sans vent afin d’espérer enfin toucher les premiers Alizés (vent de NE de 15-20 Nds). Tout ceci est bien loin de la météo attendue mais nous sommes prévenus, la course va se jouer dans les 3 premiers jours : il faut toucher les Alizés en premier. Le prés n’étant pas mon fort, je vais devoir être très attentif aux variations de vent les deux premiers jours afin de tirer les bons bords et de limiter la casse.

Le départ a lieu a 14h TU. La flotte étant à nouveau assez frileuse sur la ligne, je réussis un bon départ lancé côté bouée de façon à me dégager rapidement du dévent des prototypes. Je passe la première marque de parcours devant le club nautique de Funchal avec la tète de la flotte. Lors des deux premiers jours, je minimise les virements et travaille beaucoup sur le matossage (installer un maximum de poids au rappel). Chaque virement représente environ 250 kg de matériel à déplacer d’un bord sur l’autre (170 litres d’eau en bidon et bouteilles, nourriture et matériel divers) ! Le vent oscillant entre 20 et 28 nœuds, j’effectue de nombreuses réductions de voilures et mon système de prise de ris rapide sur le solent fait merveille (je réduis le solent en 1 mn sans avoir besoin de sortir du cockpit). En arrivant au large des Canaries, au bout de 48h de course, je suis deuxième de la flotte juste derrière le célèbre Francisco Lobato. Comme la majorité de la flotte, j’ai privilégié les bords rapprochant vers le sud et je vais donc devoir passer entre les Canaries. Passant au large sous le vent de Palma, je n’en subit que très peu le dévent. Le vent, guidé entre Hiero et Gomera, prends une composante sud m’obligeant à passer dans l’étroit passage entre Gomera et Ténériffe. Cela ne m’enchante guerre car les dévents seront très importants. En comprenant que la grosse majorité de la tête de flotte sera obligé de faire comme moi, je n’ai plus qu’à prendre mon mal en patience en espérant faire moins mal que les autres. Le vent et la nuit tombant, je m’attaque aux petits airs très instables en force et direction. Je ressors de ce passage au petit matin en quatrième position. J’apprendrais plus tard que le meilleur passage était juste au vent de Ténériffe permettant à mon collègue Fabien sur le 483 de me passer largement devant. Le grand gagnant du passage des Canaries étant Charlie Dalin qui justement n’est pas passé dans les Canaries comme l’avait préconisé mon routeur ! Peu de bateaux ayant osé tirer les contre bords nécessaires pour passer au vent des Canaries, nous sommes presque tous passés au même endroit. Les bateaux ayant pris ce passage au petit matin, quelques heures après moi, ont eu la malchance de rester collés dans les dévents et perdre 12h. Un peu de chance de tant en tant, ca aide ! En sortant des Canaries, le temps change radicalement : petit vent d’ouest et soleil. Je peux enfin me changer, tout faire sécher, vider les ballasts … Apres ces trois jours de prés, l’humidité se faisait sentir des fonds du bateau jusqu'à l’intérieur de mon ciré.

Désormais, le jeu consiste à traverser la dorsale, attendre la rotation du vent d’ouest au nord ouest puis nord est (direction moyenne des Alizés) et aller chercher les Alizés dans l’est, le long de la Mauritanie. La flotte semble majoritairement plonger dans l’est s’écartant fortement de la route directe. Contrairement à la météo prévue au départ, la dorsale sans vent ne semble plus être si active et les Alizés ne sont plus uniquement confinés a la côte Africaine. Je décide donc de partir légèrement dans l’est de la route pour marquer la flotte partant sur la côte Africaine tout en restant près de la route directe car les Alises arriveront plus vite que prévus initialement par les routages. Au large de la Mauritanie, je touche les premiers Alizés forcissant en soirée tout en prenant une composant nord. Les journées s’enchainent alors jusqu’au Cap Vert avec un subtil mélange de jibes pour rester sur le bord rapprochant (la nuit, les Alizés prennent de la gauche, le jour de la droite), de choix de voile afin de limiter un maximum les incidents de parcours dans cette mer de plus en plus formée. Ce petit cocktail me permet de rester dans les 5 premiers jusqu’au Cap Vert. Cette année, les Alizés n’étaient pas très forts (entre 18 et 25 nœuds), mais l’état de la mer ne permettait pas de trop charger le bateau. Les nombreuses accélérations dans les vagues sont harassantes et le bateau manque de partir au tas à chaque saute de vent. Je n’avais jamais eu le moindre problème de tenue de route sous spi lors de la première étape ! Je suppose que ceci est dû à l’état de la mer et à l’instabilité des Alizés soufflant en rafale. Dans ces conditions, mieux vaut jouer la prudence : mon leitmotiv étant de tirer sur le bateau sans casser.

Je commence à comprendre que mes batteries ne tiennent plus du tout la charge. La pile à combustible tourne donc en permanence et mes réserves de méthanol diminuent en conséquence. Je dois donc désormais jouer avec mes panneaux solaires de secours et mon pilote électrique beaucoup moins gourmand en énergie. Je conserverais ainsi du méthanol jusqu’à l’arrivée sans souffrir du moindre pb d’énergie.

L’Archipel du Cap-Vert est une porte de passage obligatoire que la tête de flotte atteint au bout de 9 jours de course. Afin de jouer la sécurité, je décide de passer autours de Sao Nicolau m’éloignant ainsi des dévents des Iles de l’est (Fogo culmine notamment à 2800m) qui seront fatals à certains. Je souhaite passer à l’est de l’Ile mais le vent de Nord mollissant rend le bord vers le sud très défavorable. J’enchaine de nombreux empannages pour ma rapprocher de la pointe est sans trop perdre. Le vent forcissant dans la soirée, la fin du bord devient moins pénible et défavorable : je passe donc au ras de la pointe avec une certaine angoisse car, dans la brume, je n’aperçois ni la silhouette de l’ile ni la moindre lumière. L’effet de pointe semble porteur car le vent forcit et me permet de tirer quelque bord très rapprochant. Au petit matin, j’ai regagné une place mais ma VHF ne fonctionne plus. Celle-ci montrait quelques signes de faiblesse au départ mais le manque de budget ne m’a pas permis de la changer. Désormais, je ne connais plus la position des bateaux : la suite de la course va être très compliquée car je ne pourrais plus marquer mes poursuivants. Evidemment, par la BLU, je reçois encore la météo et le classement avec les distances en but. J’approche donc du Pot au Noir dans un vent de Nord Est Mollissant en visant le milieu de la porte théorique : 8°N 27°W.

Le Pot au Noir (Zone d’Inter Convergence Tropicale) est la zone de rencontre entre les Alisés du NE et du SE. Le vent synoptique est globalement d’est assez faible mais les très nombreux nuages et grains orageux rendent le flux très instable avec des rafales atteignant les 40 nœuds laissant instantanément place à de la pluie. Cette ZITC possède une forme de diabolo dont la partie la plus étroite se concentre entre 26 et 28 W. A l’est de 26W, le Pot au Noir est très épais. A l’ouest de 28W, l’angle de sortie pour pointer vers le sud dans du vent de S/SE risque d’être calamiteux obligeant à tirer des bords en regardant les collègues de l’est filer au reaching vers la prochaine marque (Fernando de Noronha). L’absence totale d’information météo sur cette zone nous oblige donc à passer au centre de la porte théorique. La première barrière de nuage que l’on rencontre est très orageuse et m’oblige par précaution à couper la centrale de navigation. Je passe donc la première nuit sous code5 avec deux ris dans la grand voile sous pilote de secours en mode autonome afin de préserver le matériel. Toujours placé 6éme après 24h de course, les grains violent et la pluie s’enchainent. Je passe deux nuits calamiteuses sans bouger, enfermé à chaque fois dans une clairière de ciel bleue sans vent. Au bout de 48h, je suis encore 6eme mais l’ensemble de la flotte remonte. Le troisième, je suis dramatiquement passé de la 6eme place à la 21eme. J’apprendrais plus tard qu’une bonne partie de la flotte est passée dans mon ouest, passage nettement plus favorable ayant permis à certains bateaux de récupérer les 100 milles de retard que j’avais difficilement gagné dans les Alisés. Cette chute au classement est très dure pour le moral, d’autant plus que je n’étais jamais sorti des 6 premiers bateaux depuis La Rochelle ! Je profite de ce petit temps de répits pour aller changer ma girouette qui n’indique plus la force du vent (problème de roulement à bille sur les godets)Vers 11h, le vent finit enfin par se lever. Je tricote entre quelques grains en gagnant vers le sud et miracle, derrière le dernier grain, je découvre un vent de Sud-Est et un nouveau ciel d’Alisé ; bleu avec quelques Cumulus. Les Alisés du Sud-Est arrivent enfin !

Le Pot au Noir étant très haut, le vent présente rapidement une composante plutôt Sud. L’objectif est de gagner vers le sud pour s’échapper du Pot au Noir qui a tendance a redescendre. Il ne faut surtout pas se laisser enfermer par les grains qui ont tendance à revenir par la gauche. J’effectue donc un maximum de babord amure au près vers le sud ouest tout en n’hésitant pas à revenir tribord lorsque le vent refuse pour faire un maximum de gain vers le sud et retrouver du vent de sud-est. Le manque de sommeil lors de mon passage dans le Pot au Noir se fait fortement sentir. Malgré ma chute au classement général, je retrouve la motivation pour rebalaster (remplir d’eau de mer tous mes bidons vides, 100L, pour les remettre au vent de façon à rendre le bateau plus puissant dans cette mer formée) avant de m’endormir 8h d’affilées exténué par ce Pot au Noir. En partant du principe qu’il reste une dizaine de jours de course, il vaut mieux essayer de grappiller un maximum de bateaux que de me morfondre sur mon sort, autrement, la fin de la course risque d’être très longue. D’autant plus qu’une bonne partie des bateaux m’ayant doublé dans le Pot au Noir ne sont pas réputés pour être les plus véloces de la flotte. Ma position dans l’est me procure un avantage certain sur les bords de près entre les latitudes 7 et 4°N pour le vent de S/SE annoncé. Je repasse rapidement 14éme puis 12éme au classement général.

En descendant vers le sud, le vent adonne doucement. Le petit train se met en place et les écarts se creusent avec l’arrière de la flotte. En effet, plus les bateaux sont vers le sud, plus les conditions sont favorables. Lors du premier envoie de mon geenaker, la tétiere de l’enrouleur explose et mon geenaker passe à l’eau, rien de bien grave si ce n’est une petite ascnension dans le mat par 20 nœuds sous voile pour récupérer la drisse afin de ne pas perdre de terrain. Mon vieux geenaker trop grand et trop creux ne me permet pas de faire de coup d’éclat mais je reste au contact du wagon de tête profitant du même système météo sans perdre de terrain. Au passage de Fernando de Norhona, dernière marque de parcours, un bon positionnement au vent de la flotte me permet de glisser sous geenaker toute la nuit dans un vent d’est forcissant et de regagner 3 places. Je suis 9ème mais le reste de la flotte est désormais 30 milles devant moi après le passage de l’Equateur. Le long des côtes du Brésil, je joue désormais la prudence en restant au large afin d’éviter les pécheurs, objets flottants et brises thermique douteuses. N’ayant plus aucune menace derrière moi, ma seule chance de rattraper la flotte devant est de conserver du bras de levier (décalage en latéral) en attendant que le vent tourne favorablement vers le nord pour rattraper mon retard. Les dernières 24h se passent sous spi dans un vent de Nord Est oscillant entre 23 et 27 nœuds. Sous spi médium et grand voile haute, mon pilote fait merveille. Je n’ai plus qu’à optimiser ma trajectoire pour descendre vers Bahia le plus rapidement possible tout en arrivant par le large car une dépression orageuse est annoncée sur la côte. De nombreux surfs à 15 nœuds me permettent d’effectuer 221 MN en 24h sans toucher la barre ! Mon dernier bord tribord amure dans un vent ayant tourné par le Nord me permet de me rapprocher très rapidement de la côte à 10-12 nœuds tandis que mes collègues sont ralentis par les caprices de la dépression orageuse. J’ai enfin réussi à recoller le groupe que je poursuivais depuis une semaine ! Je reste cependant 9ème au classement de la seconde étape mais les écarts étant très faibles (20 mn avec le 8ème, 40mn avec le 7ème), je sauve ma 6ème place au classement général de la Transat 6.50. J’arrive le samedi 24 octobre à Bahia vers 15h TU après 23 jours de course, le premier contact avec les collègues et la foule est toujours un peu désarçonnant les dix premières minutes mais tout rentre dans l’ordre très rapidement après quelques Caipirinhas.

Aujourd’hui, lundi 1er novembre, tous les bateaux sont arrivés à Salvador de Bahia. Je passe quelques jours de vacances sous le soleil et les cocotiers des plages d’Itaparica en face de Salvador. Un peu déçu par ma mésaventure dans le Pot au Noir, ma place de 6ème au classement général me réconforte. Je suis également très fier de ma remontée sur les dix derniers jours. Avec un peu de recul, je reste assez septique sur l’intérêt d’envoyer des mini 6.50 à travers le Pot au Noir sans aucune info météo conséquente : cette zone est trop complexe et relève plus de la chance que du talent. Il est vrai qu’avec une bonne VHF, je n’aurais pas laissé la flotte partir seule dans mon ouest et aurais opté pour un marquage plus agressif. Cependant, l’écart de vitesse entre le groupe de l’ouest et le groupe m’ayant suivit n’aurait jamais dû être si important. Je regrette également le choix de mon geenaker trop vieux et trop creux. Je n’ai pas pu sortir celui-ci assez tôt lorsque le vent a adonné en approchant de l’Equateur. Enfin, mon stock de nourriture prévu pour 20 jours a été un peu juste pour 23 jours. Il ne me restait que quelques lyophilisés peu attirants pour les derniers jours.
Henry Meyniel, sur le Pogo 2 Kalonig FRA 539

2 commentaires:

yves a dit…

bravo Henri !!
Félicitations pour ton super parcours !
j'espère te revoir à la rochelle bientot yves

Anonyme a dit…

Nous vous remercions de intiresnuyu iformatsiyu